Afrique: la tentation en plus le plus répandue du troisième mandat présidentiel
Alors que le président Macky Sall s’apprête à dévoiler s’il tentera le troisième mandat à la présidentielle de février 2024, le Sénégal retient son souffle après les violentes manifestations du mois de juin 2023. Un climat de tension qui traverse nombre d’États africains, généralement précédé d’un changement de la Constitution.
« Il est malheureux que la Constitution, qui devrait être le texte sacré des citoyens, soit réduite à une loi électorale ». déplorait en 2020 l’historien ivoirien Moritié Camara. Quelques semaines plus tôt, à la veille de la fête nationale du 7 août, son président Alassane Ouattara profitait de la traditionnelle allocution télévisée pour annoncer sa candidature à un troisième mandat. « J’avais fait part à toute la nation de ma volonté de ne pas faire acte de candidature et de passer la main à une nouvelle génération. J’avais commencé à organiser mon départ, planifier ma vie après la présidence, relancer les activités de ma fondation », avait déclaré le président sortant. Mais, des complications cardiaques ayant brutalement emporté son dauphin officiellement désigné, l’ancien Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, le chef de l’État ivoirien est revenu sur sa parole en répondant « favorablement à l’appel de (ses) concitoyens (…) dans l’intérêt supérieur de la nation ». La décision avait provoqué un vent de panique au sein de la population, grandement traumatisée par la guerre civile de 2010-2011 et ses 3 000 morts selon l’ONU, et qui opposait déjà Alassane Ouattara à son prédécesseur Laurent Gbagbo.
C’est sur la base d’une nouvelle Constitution adoptée en 2016 que le président ivoirien a justifié son droit de se présenter une nouvelle fois à la fonction suprême, ses partisans allant même jusqu’à réfuter l’expression « troisième mandat », lui préférant « premier mandat de la nouvelle République ». L’annonce a très vite conduit à des violences à Abidjan et à travers le pays, causant la mort d’une centaine de personnes et une grave crise politique. Si un dialogue politique a permis de faire tomber la tension, il n’a pas clairement tranché sur la question qu’une éventuelle future réforme pourrait soulever : la modification ou la révision de la loi fondamentale remettent-elles le compteur du nombre de mandats présidentiels à zéro ? Les réponses, beaucoup plus politiques que juridiques, s’opposent en fonction du bord sur lequel on se tient.
En Guinée et en Centrafrique, une Constitution dépassée
Garantir la paix et la stabilité du pays, l’intérêt supranational, l’appel du peuple souverain… Les arguments avancés par les chefs d’États pour toucher à la loi fondamentale sont généralement les mêmes. En Guinée, le président Alpha Condé a justifié l’adoption du nouveau texte, arguant que l’ancien en vigueur avait été rédigé en 2011 par une Assemblée de transition, et non par des députés élus : « La Guinée a besoin d’une nouvelle Constitution, parce que l’actuelle n’est pas bonne, tout le monde le sait. On a été obligé de faire des accords politiques violant la Constitution », avait-il déclaré.
L’ex-chef d’État affirmait également se contenter de répondre aux demandes du peuple qui s’est mobilisé en faveur d’un changement. Mobilisations pourtant très peu suivies, comparées à celles du camp opposé à une modification constitutionnelle. La crise qui a suivi a causé la mort de dizaines de manifestants et de centaines de personnes en prison, avant le coup d’État militaire de septembre 2021.
Comme son ancien homologue, à l’approche de la fin de son second mandat, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a aussi pointé le caractère désuet de la Constitution de 2016 : « Dès sa promulgation, des courants politiques ainsi qu’une majorité de nos populations l’ont trouvée insuffisante, notamment en ce qu’elle ne propose pas de solutions appropriées aux causes des conflits militaro-politiques récurrents que connaît le pays ». Fait rare, la Cour constitutionnelle s’était opposée à toute réforme du texte. Le bras de fer avec le pouvoir a finalement eu raison de Danièle Darlan, présidente de la Cour mise à la retraite par décret présidentiel. Le référendum est finalement prévu pour le 30 juillet 2023.
Azali Assoumani aux Comores en 2018, Denis Sassou Nguesso au Congo en 2015, Pierre Nkurunziza au Burundi en 2015… Loin d’être exhaustive, cette liste indique les chefs d’État ayant bénéficié d’un changement constitutionnel leur assurant un maintien aux commandes du pays. En 2015, la révision de la Constitution au Rwanda autorise potentiellement le président Paul Kagamé à rester en poste jusqu’en… 2034 ! Chaque révision et modification ont servi à contourner le verrou des deux mandats autorisés. Quand elles ne l’ont pas tout simplement fait sauter, à l’image du Cameroun dirigé depuis plus de quarante ans par Paul Biya.
Des tentatives et des échecs
Mais tous les présidents ne parviennent pas faire voter un nouveau texte fondamental. Dans certains pays, la tentative a même produit l’effet inverse. En 2014, le chef de l’État burkinabè Blaise Compaoré, 27 ans de règne au compteur, a voulu toucher à la Constitution. Lâché par sa propre armée, il est contraint à l’exil après seulement deux jours de révolte populaire.
En RD Congo, le maintien au pouvoir de Joseph Kabila après la fin de son second mandat fin 2016 a provoqué une crise politique émaillée de violences. Après trois reports de la présidentielle, l’opposant Félix Tshisekedi lui a succédé en 2019.
Des « bons élèves », malgré tout
Il y a aussi des pays où la limitation du nombre de mandats est rentrée dans la culture politique. Ce sont les cas du Nigeria, du Kenya, du Bénin, ou encore du Niger, entre autres.
Changer la loi fondamentale pour rester à la tête du pays n’a rien de nouveau en Afrique, mais cela fait plus d’une décennie que la pratique se normalise à travers continent. La modification ou la révision de la Constitution soulève toujours la même question : cela remet-il le compteur du nombre de mandats présidentiels à zéro ? Les réponses sont beaucoup plus politiques que juridiques et diffèrent totalement en fonction du camp duquel proviennent les arguments.
Seule certitude commune à tous ces états : remanier la loi fondamentale provoque plus de tension que d’apaisement dès lors que le siège présidentiel est mis en balance.