Monénembo à propos des poursuites contre Alpha Condé et Cie: « c’est une nouvelle que j’accueille avec un enthousiasme teinté de prudence » (Entretien)
De son vrai nom Thierno Saïdou Diallo, le récipiendaire du Grand prix de la Francophonie en 2017 pense que le Comité National du Rassemblement pour le Développement devrait laisser le soin à un gouvernement constitutionnellement établi de procéder à de telles démarches.
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Alpha Condé et compagnie vont enfin être poursuivis pour les crimes de sang commis sous son magistère à en croire le procureur général près la Cour d’Appel de Conakry, qui en a fait l’annonce.
Dites-nous comment vous accueillez cette nouvelle?
Tierno Monénembo : c’est une nouvelle que j’accueille avec un enthousiasme teinté de prudence. Le système Alpha Condé a volé des milliards de dollars et tué des centaines de guinéens. Les guinéens attendent avec impatience que cette bande de criminels soit jugée aussi bien pour crimes économiques que pour crimes de sang. Mais il y a un problème de procédure, pour parler comme les magistrats. Nous vivons un régime d’exception, un régime putschiste. Dans le principe, le pouvoir de Mamadi Doumbouya est illégal. Il est simplement toléré parce qu’il nous a débarrassé du dictateur Alpha Condé. Mais cette tolérance ne vaut que si notre Colonel se limite à son rôle de chef de la Transition. Sa mission, c’est d’expédier les affaires courantes et d’organiser des élections régulières le plus vite possible. Tout ce qu’il fait d’autre est illégal. Pour moi, Kassory Fofana et ses acolytes doivent, certes, être jugés mais par un gouvernement constitutionnellement établi. Et puis tout le monde sait que les fameuses Forces Spéciales ne sont pas étrangères à la répression sauvage qu’Alpha Condé a exercée contre le peuple de Guinée. Mamadi Doumbouya est mal placé dans cette affaire. On ne peut être juge et partie.
Selon le procureur Charles Wright, les organisateurs de manifestations peuvent aussi être inquiétés qu’en pensez-vous ?
Dans le principe, il a parfaitement raison. Mais s’il enquête en allant jusqu’au bout de son raisonnement, il se rendra compte que la violence n’est venue que d’un seul côté, celui du pouvoir. J’en sais quelque chose. J’ai personnellement participé à la plupart des manifestations. Que ce soit avec les partis d’opposition ou avec le FNDC, je n’ai jamais vu un seul manifestant armé. Par-ci, par-là, des gamins incontrôlés avaient jeté des pierres pour riposter aux tirs nourris de la flicaille. Rien d’autre!
Jusqu’à la veille de l’éviction d’Alpha Condé, les citoyens n’avaient plus confiance aux magistrats est-ce qu’à votre avis l’appareil judiciaire guinéen serait en mesure de traiter un tel dossier comme estime Vincent Brengarth un des avocats français du FNDC ?
C’est tout ce que l’on souhaite à notre pauvre pays, que notre justice atteigne enfin l’âge de la maturité, que nos magistrats puissent enfin lire le droit avec courage et professionnalisme sans se référer au chefaillon du moment. Monsieur Charles Wright m’a l’air d’un bon magistrat. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans une de mes chroniques. Hélas, la justice n’est pas une question d’individu, c’est une question de système.
L’influence politique est un autre facteur à craindre aux yeux de moults observateurs guinéens dans le traitement de ce dossier assez sensible.
Peut-on s’attendre à un procès de façade?
Bien sûr ! Dans notre inénarrable Guinée, tout est façade, grimage et faux-fuyant. Notre vie politique est un véritable cirque. Un cirque sanglant, malheureusement ! On nous parle de justice, d’assises nationales, de récupération de bien de l’État, c’est de la comédie, tout cela. Mamadi Doumbouya cherche à amuser le peuple pour mieux asseoir son pouvoir. Les Guinéens ne doivent pas se laisser berner.
Mosaïque Guinée.com