Africaguinee.com : Votre client a été jugé par le tribunal de grande instance de Dakar, que peut-on retenir de cette audience ?
Me AMADOU ALY KANE : Il faut savoir qu’il a été déclaré coupable de séjour irrégulier et condamné à payer une amende de 50 000 FCFA. Moi je considère que c’est une décision qui est contestable en droit. Parce que je ne vois pas le fondement légal, d’abord de la poursuite du ‘’séjour irrégulier’’, et pire de la condamnation pour ce délit par rapport à un citoyen de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). J’estime que le principe dans la communauté de la CEDEAO, c’est la libre circulation des personnes, il n’y a pas de carte séjour, ni de visa. Vous entrez dans les pays de la CEDEAO avec votre pièce d’identité ou votre passeport. Si vous voulez ouvrir une société, il y a des documents à chercher, si vous voulez résidez, il y a des documents à chercher. Ce qui n’est pas le cas de monsieur Djibril Agi Sylla. Ce n’est pas un migrant, c’est quelqu’un qui fuit une persécution. Il est en situation de demander le statut de réfugié politique. Maintenant si on applique de cette façon les textes, ça va créer un désordre au sein de la communauté. Parce que les Sénégalais sont partout. Imaginez qu’ils soient aussi poursuivis pour séjour irrégulier dans les pays, où est-ce que ça va amener ? Même la Mauritanie qui est sortie de la CEDEAO, a des accords avec les autres membres de l’organisation, on ne leur demande pas de visa, ils bénéficient de la libre circulation des personnes et des biens.
Pour moi, c’est un délit qui n’existe pas en droit sénégalais pour les ressortissants de l’Afrique de l’Ouest dans la mesure où ces ressortissants ont le droit d’entrée, de séjour, de résidence et d’établissement ici au Sénégal. Tout ressortissant d’un pays membre de la CEDEAO est chez lui au Sénégal comme tout Sénégalais est chez lui dans lequel des États membres de la CEDEAO.
Votre client était sous menace d’expulsion vers la Guinée à cause de son statut au Sénégal, qu’en-est-il, désormais ?
Il n’y a pas de procédure d’expulsion le concernant. Il était poursuivi pour séjour irrégulier, il a été jugé pour ça, il a été reconnu coupable et écope d’une amende de 50 000 FCFA. La justice elle-même n’a pas le pouvoir de l’expulser. L’expulsion est une mesure administrative qui est décidée par le ministre de l’intérieur. Et je ne vois pas la raison pour laquelle le ministre de l’intérieur devrait l’expulser du pays parce qu’il ne constitue pas un danger pour la paix publique au Sénégal. Même s’il devrait être expulsé, ça ne devrait pas être vers la Guinée dans la mesure où il a quitté la Guinée pour fuir la persécution politique, sa vie était en danger, c’est pour sauver son intégrité physique. Il y a des textes en droit international qui stipulent qu’on ne refoule pas une personne qui fuit la persécution vers ce lieu qu’il est en train de fuir. Si le Sénégal le fait, ça serait une très grave violation du droit international des droits de l’homme pour laquelle il pourrait être poursuivi devant la Cour de justice de la CEDEAO.
Qu’en-est-il de la plainte pour diffamation qui a conduit à l’arrestation de Djibril Agi Sylla pour séjour irrégulier ?
Cette plainte n’a pas été retenue par le procureur et mon client n’a pas été poursuivi pour cette plainte. Le procureur a retenu pour ‘’ le séjour irrégulier’’, et l’a poursuivi sur cela. C’est ce que j’ai constaté.
Est-ce que votre client a été libéré à la suite de cette décision ?
Il doit être libéré. C’est un problème de mesures administratives parce qu’il faut un ordre de mission de libération qui vient du procureur qui aille vers la prison. C’est en ce moment qu’on va le libérer. Généralement ici, ils attendent la fin d’audience pour mettre dans une même feuille la liste de toutes les personnes qui doivent être libérées. Normalement il devrait sortir dans la journée parce que son maintien en détention serait arbitraire parce qu’il n’y a aucune raison.
Est-ce que vous voyez quelque chose de politique derrière cette décision ?
Je ne commente pas la décision, je la conteste. Je suis avocat, j’utilise les moyens de droit. Je considère que dans le droit sénégalais actuel, il n’existe pas un texte qui permet de dire à un citoyen de la CEDEAO qu’il est en séjour irrégulier. Je souhaite que cette décision soit contestée en appel. Je ne sais pas s’il y a des visées politiques derrière, mais dans tous les cas, l’avenir nous édifiera. Ce que je sais, dans la mouvance présidentielle ( PASTEF), il y a eu des voix qui se sont levées et ont préconisé une politique migratoire à caractère xénophobe en direction de certaines communautés, dont la communauté guinéenne. Ce sont des projets personnels, ce n’est pas une position du gouvernement ni de l’Etat du Sénégal. Maintenant, est-ce que l’Etat du Sénégal va adopter cette position ? Je ne le crois pas mais l’avenir nous édifiera.
Comptez-vous attaquer cette décision ?
Si monsieur Sylla ne voit pas d’inconvénients, bien sûr. Parce que l’avocat est maitre de l’argumentaire, celui qui choisit les moyens par lesquels il défend, mais c’est le client qui maitre de direction du procès. Celui qui dit qu’on continue ou on s’arrête. Je ne peux le contraindre à faire appel s’il ne veut pas. Mais en tant que praticien du droit, je trouve que c’est une question qui est très importante et elle mérite qu’on élève le débat pour que les juridictions supérieures puissent se prononcer. S’il faut même qu’on aille jusqu’à la Cour Suprême pour qu’on sache si un ressortissant de la CEDEAO qui bénéficie de la libre circulation peut être en séjour irrégulier au Sénégal ? C’est une question qui intéresse aussi les Sénégalais car ils sont aussi chez les autres.
Dossier à suivre
Source :Africaguinee.com