Le Général Lansana Conté et le CMRN : 39 ans après le 3 avril (Par Abdoulaye Condé)
Ce lundi marque l’an 39 de l’irruption, pour la première fois, de l’Armée sur la scène nationale Guinéenne avec à sa tête, un certain Colonel Lansana Conté.
24 durant, cet officier supérieur et le 03 avril accueillis dans la liesse populaire partout en Guinée, ont eu droit à tous les honneurs mais aussi à toutes les flatteries, exactement comme le PDG-RDA et le Président Ahmed Sékou Touré, pendant les 26 premières années de l’indépendance.
Mais, 15 ans après le décès et la chute du régime, le 22 décembre 2008, de son HOMME, le Général Lansana Conté, le 03 avril ne semble plus représenter un événement. Autres temps, autres mœurs.
Une semaine, après le brutal décès du Président Ahmed Sékou Touré à Cleveland aux États-Unis annoncé par le Premier ministre, feu Dr Lansana Béavogui dans un timbre effondré par la douleur, le mardi 26 mars 1984, « la Voix de la Révolution » réveille à nouveau les Guinéens, ce mardi 03 avril 1984 à 06 heures du matin, avec un autre événement entonné par la fanfare militaire suivie quelques minutes seulement de la lecture d’un Communiqué, sur un ton martial par un officier alors inconnu du grand public, annonçant la prise du Pouvoir par L’Armée Guinéenne sous la bannière du CMRN (Comité Militaire de Redressement National).
Dans ce Communiqué N°1, bien rédigé au contenu clair, précis et structuré, le capitaine Facinet Touré, la cinquantaine tout comme le colonel Lansana Conté, plutôt belle voix, à la lecture facile et captivante, commence par brièvement rendre hommage au Président Ahmed Sékou Touré : » Peuple de Guinée, c’est dans une grande ferveur que tu viens de conduire à sa dernière demeure l’un de tes fils les plus prestigieux auquel l’Afrique et le monde ont tenu à rendre un hommage mérité.
L’œuvre immortelle d’Ahmed Sékou TOURE aura été de conduire la Guinée à l’indépendance nationale et de faire rayonner notre pays sur le plan africain et international » avant d’enchaîner sur un sévère réquisitoire accusant le régime en phase de renversement de tous les péchés d’Israël : » Si sur le plan international son œuvre a été couronnée de succès, il n’en est pas de même sur le plan interne où, sous l’influence de ses compagnons de lutte malhonnêtes et sous la pression féodale de sa famille, ton espoir de voir une société plus libre et plus démocratique s’est envolé, brisé par une dictature sanglante et impitoyable qui a broyé ta lumineuse espérance.
PEUPLE DE GUINÉE!
Alors que tu n’as même pas séché tes larmes, une âpre lutte s’est engagée pour sa succession parmi ses compagnons de lutte aux mains tachées de sang de tant d’innocents, ses compagnons dont la seule ambition est d’assouvir leur intérêt personnel » et de conclure par la nouvelle du jour :
» Ton armée nationale, celle qui t’est toujours demeurée fidèle et loyale et qui a toujours partagé tes peines, a décidé de prendre en mains, les destinées du pays pour éviter à l’avenir toute dictature personnelle et sanglante qui broie ses propres fils.
C’est le lieu et le moment de nous incliner respectueusement devant la mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie durant ces 26 années d’un pèlerinage douloureux dont le seul tord est d’avoir exprimé leur opinion sur l’avenir du pays.
C’est pourquoi, un Comité Militaire de Redressement National a été institué pour garantir les bases d’une nouvelle démocratie fondée sur le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles où tous les guinéens seront égaux en droits et devoirs.
En attendant de prendre d’autres dispositions éventuelles, le CMRN décide :
•Le Gouvernement de la République est dissous
•l’Assemblée Nationale est dissoute
•La Constitution est suspendue.
•Les Commandants de Régions Militaires feront office de Gouverneur de Région dans leur zone respective
•Pas de travail, pas de marché, pas de circulation jusqu’à nouvel ordre.
•Un couvre-feu est instauré de 22h à 06h du matin sur l’ensemble du territoire national.
Vive le Glorieux Peuple de Guinée
Vive l’Armée Guinéenne
Vive la République !
Le CMRN ».
La sentence est dite, le régime de la République Populaire Révolutionnaire a vécu, il est renversé sans effusion de sang. Presque. La seule victime a été le commandant Sidiki Condé, à l’époque commandant du Camp Alpha Yaya Diallo qui a voulu s’opposer au coup d’état.
Alors que les Guinéens, en liesse partout à l’intérieur du pays et à l’étranger, célèbrent dans les rues le changement de régime détruisant au passage les innombrables plaques aux slogans du Parti-Etat et du Responsable Suprême de la Révolution, les militaires, nouveaux Maîtres du pays, procedent à l’arrestation des dignitaires du régime déchu et des membres de la famille du défunt Président.
Le 05 avril 1984, à partir de l’usine militaire où ils avaient érigé leur Quartier Général, les principaux officiers de l’armée Guinéenne définissent l’appareil dirigeant du nouveau régime sous la présidence du Colonel Lansana Conté qui devient ainsi le nouveau Président de la République, Chef de l’État, Président du CMRN. Conformément à un passage d’un des nombreux communiqués de prise de pouvoir dénonçant « le culte de la personnalité « , un Gouvernement essentiellement militaire, ( répartis entre tous les départements hérités du régime précédant sauf celui des FAPA) a été formé avec à sa tête, le Colonel Diarra Traoré, Premier ministre, Chef du Gouvernement.
Le nouveau régime enterre l’étatisme du PDG, proclame le libéralisme économique et la liberté individuelle, ouvre les prisons et libère les prisonniers dits politiques dont le Commandant Abraham Kabassan Keïta ancien ministre du régime défunt réhabilité ministre dans le nouveau régime. Mais, cette première équipe du nouveau régime est rapidement miné par des contradictions internes sur fond de rivalités personnelles exacerbées notamment entre d’un côté, le groupe du Premier ministre, Diarra Traoré avec quelques dignitaires comme le capitaine Fodé Momo Camara, ministre de la Coopération, le Chef de bataillon, Sidi Mohamed Keïta, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, le Capitaine Sékou Traoré, secrétaire général du Gouvernement etc. et celui du Capitaine Facinet Touré, ministre des affaires étrangères et ami personnel du Président Lansana Conté, composé du Capitaine Jean Traoré, ministre des mines et géologie, Capitaine Kerfalla Camara, ministre de l’habitat, Capitaine Mamadou Balde, ministre de la fonction publique, Capitaine Abou Camara, ministre du commerce intérieur, Capitaine Oumar Kebe, ministre du commerce extérieur.
La crise est si profonde que le Président Lansana Conté et ses proches travaillent discrètement sur une nouvelle structure Gouvernementale visant à réduire le nombre de portefeuilles ministériels et à supprimer la Primature. Quand le Colonel Diarra Traoré, lors d’un conseil des ministres, s’en était fait l’écho en se référant à des articles de la presse internationale sur la question, le Président Lansana Conté, déjà tacticien, a fait balader son Premier ministre en le rassurant : » il ne faut pas écouter les journalistes, ils feront tout pour nous diviser en racontant n’importe quoi, nous devons continuer à être unis, faire notre travail « .
Mais, le 18 décembre 1984, Jour d’arbitrage et du premier tournant du pouvoir militaire, le Colonel Lansana Conté, décide de » couper les branches pourries » lors d’une adresse à la Nation (le tout premier des discours caustiques de son règne) particulièrement cinglante pour le clan du Premier ministre Diarra Traoré rétrogradé au rang de ministre d’état (chargé de l’éducation nationale) statut dans lequel sont élevés ses rivaux sinon ennemis Capitaine Facinet Touré ( ministre d’état aux affaires étrangères et coopération internationale), Capitaine Jean Traoré (ministre d’état, chargé des Mines et Géologie) et Capitaine Mamadou Baldé (ministre d’état, chargé du Travail et de la Fonction Publique ).
Fragilisé par ce spectaculaire limogeage de la Primature et le renvoi du Gouvernement de ses amis officiers, sans doute que l’idée de la tentative du coup d’état avorté du 04 juillet 1985 est née de l’humiliation du 18 décembre 1984.
Cependant, le Président Lansana Conté (élevé au grade de Général de Brigade suite à la tentative de coup d’état reconnu par Amadou Damaro Camara, très proche du Colonel Diarra Traoré au moment ) a semblé tirer les leçons des conséquences sociales des évènements du 4 juillet 1985 avec l’exécution sans jugement du Colonel Diarra Traoré et de nombreux autres officiers soupçonnés, à tors ou à raison, d’être impliqués dans le putsch avorté mais aussi des dignitaires de l’ancien régime détenus à Kindia ainsi que des pillages des lieux de commerce et de domiciles de simples citoyens n’ayant aucun lien avec l’ancien Premier ministre sinon l’appartenance à la même région.
Ainsi, pour ne pas s’enfoncer dans les mêmes exactions ou crimes reprochés au régime précédant, le Président Lansana Conté amorce, le 22 décembre 1985, un nouveau virage avec un processus de demilitarisation de son régime en commençant par l’éloignement des officiers membres du gouvernement qu’il estime autant responsables des conséquences douloureuses des événements du 04 juillet que les putschistes eux mêmes. Il a vite compris et à tenu à se soustraire, avant qu’il ne soit tard, de la possible influence négative de certains de ses compagnons.
Notamment les Capitaines Facinet Touré et Mamadou Baldé, relégués ministres délégués à N’Zerekore et Kankan, ainsi que le limogeage pur et simple de leurs alliés du Gouvernement.
Les rares survivants comme Jean Traoré, Alhoussene Fofana ou même ceux qui sont revenus par la suite ont été systématiquement écartés les uns après les autres au fil des ans.
D’autre part, dans la même logique de décrispation avec la région de la Haute Guinée où il s’est fortement lancé dans l’agriculture, le Président Conté organise à Kankan en 1987 la seule Fête de l’indépendance nationale délocalisée durant ses 24 ans de règne.
Quand il a décidé, en 1989 (avant le Sommet de La Baule où le Président François Mitterrand a décidé en 1990 de conditionner l’aide Française aux principes de Démocratie) de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution autorisant, dans un premier temps, le bipartisme et puis le multipartisme intégral suite à des levées de boucliers, il a encore écarté certains officiers du Gouvernement.
Après l’adoption de la nouvelle Loi Fondamentale, en décembre 1990, il organise et participe à la première élection présidentielle pluraliste de l’histoire de la Guinée en décembre 1993.
À ce titre, Père du multipartisme de la Guinée indépendante, Lansana Conté est effectivement le premier Président élu démocratiquement à l’issue d’un scrutin pluraliste avec la participation de tous les principaux leaders politiques de l’époque (Bâ Mamadou, Siradiou Diallo, Alpha Condé, Jean Marie Doré etc). Mais, pas forcément le premier Président démocratiquement porté au pouvoir en Guinée, ce qui revient au Président Ahmed Sékou Touré arrivé au pouvoir sur la base de son statut de chef ou de leader du parti majoritaire à l’assemblée territoriale en 1958 et non par un coup d’état.
À l’actif également du régime du Président Lansana Conté, la libéralisation et la subvention des médias dans toutes leurs composantes ( presse écrite, radio télévision), la liberté et le pluralisme syndical.
Sur le plan économique et social, il a doté la Guinée de plusieurs infrastructures routières, modernisé les bâtiments publics et favorisé l’éclosion et l’épanouissement des initiatives privées.
Ce virage de démilitarisation ou de civilisation du régime entamé le 22 décembre 1985 lui a permis de mieux gérer les événements sanglants des 2 et 3 février 1996 en organisant un procès public pour juger les auteurs de cette tentative qui aurait pu lui coûter la vie avec le bombardement du Palais des Nations où il se trouvait.
Ainsi, comme une forme de manifester ses regrets par rapport au sort tragique infligé aux accusés à tors ou à raison du 04 juillet 1985, face aux auteurs plus violents des événements des 2 et 3 fevrier 1996, le Général Lansana Conté a opposé la clémence sinon la tolérance zéro. Tous ou presque ont été libérés, et a profité, en revanche, pour se débarrasser définitivement des rares officiers compagnons rescapés du 03 avril 1984 dont le lieutenant Colonel, Abdourahamane Diallo, ministre de la défense ou le Colonel Mohamed Lamine Traoré, ancien ministre de l’information et d’autres responsables mis aux arrêts à la Maison Centrale de Conakry.
En Juillet 1996, il demilitarise totalement son régime et relance le poste de Premier ministre, supprimé le 18 décembre 1984.
Il nomme Sidya Touré, Premier ministre, Chef du Gouvernement qu’il révèle aux Guinéens, et forme avec lui un Gouvernement de technocrates avec des têtes d’affiche comme Ibrahima Kassory Fofana ministre délégué auprès du 1er ministre chargé du budget et de la restructuration du secteur parapublic, Dr Ousmane Kaba, ministre délégué auprès du 1er ministre chargé de l’économie, des finances et plan, Cellou Dalein Diallo, ministre des Télécommunications, Transports et Tourisme, Boubacar Barry (à ne pas confondre avec Big-up) ministre de la Pêche, Jean Paul Sarr, ministre de l’agriculture, Almamy Diaby, ministre de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle, Zogbelemou Togba, ministre de la Justice, Mady Kaba Camara, ministre Commerce, Industrie et PME, Hadja Saran Daraba Kaba, ministre des Affaires Sociales ou le doyen Cellou Diallo, ministre des Travaux Publics.
Avec ce Gouvernement, il renoue avec les bailleurs de fonds et investisseurs internationaux. Des résultats tangibles sont obtenus sur le plan économique et social.
Cet élan malheureusement sera anéanti par les rivalités internes à ce gouvernement et sa dislocation avec le limogeage d’abord du Premier ministre Sidya Touré en mars 1999 et son remplacement par Me Lamine Sidime et ceux des ministres les uns après les autres.
Ainsi, les années 2000 seront cruciales dans l’exercice du pouvoir. L’arrestation et la longue détention du Président du RPG, Alpha Condé sans jugement, la modification constitutionnelle de 2001, le 3ème mandat de trop en 2003, le refus des réformes politiques rendront difficiles à nouveau les relations avec les bailleurs de fonds notamment l’Union Européenne qui décidera de geler l’enveloppe budgétaire du 9ème FED au régime du Président Lansana Conté pas au mieux de ses formes depuis le déclenchement de sa maladie en 2002 lors d’une cérémonie publique au stade de la Mission.
La démission du 1er ministre, François Lonceny Fall, nommé après le contesté 3ème mandat, les
gueguerres et les déchirements au sein du gouvernement sur des dossiers à caractère scandaleux, les scandales financiers impunis, le limogeage du 1er ministre Cellou Dalein Diallo nommé quelques mois après la démission de Fall, l’instabilité Gouvernementale, les crises politiques et sociales à répétition qui ont entraîné la mise en place d’un gouvernement de consensus sous Lansana Kouyaté, Premier ministre, Chef du Gouvernement et de large ouverture avec Ahmed Tidiane Souaré, dernier Premier ministre, Chef du Gouvernement d’un Président éprouvé par la maladie ont profondément marqué la dernière décennie du Président Lansana Conté et de son régime du 03 avril 1984, mort avec lui le 22 décembre 2008.
39 ans après, on retiendra que le 03 avril 1984 a porté à la tête de la Guinée un officier supérieur patriote dont l’amour pour la Guinée ne souffrait d’aucune ambiguïté. Le 03 avril, son principal artisan ainsi que ses compagnons oubliés ce lundi d’anniversaire célébré nulle part comme jadis, ont pourtant fait le bonheur de milliers de cadres et opérateurs économiques Guinéens dont rares sont ceux qui s’arrêtent aujourd’hui au siège du parti (PUP) qu’il a fait germer pour continuer à promouvoir la Politique prônée lors du changement de régime en 1984. L’eau a coulé sous le pont. Oui, c’est vrai, rien n’est éternel. Autres temps, autres mœurs.
Par Abdoulaye Condé.